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À travers la figure d’Aoua Kéita, militante malienne et pionnière de la lutte féminine en Afrique, cet article explore les échos contemporains de son engagement dans le contexte haïtien. En mettant en lumière son combat contre le patriarcat et pour l’émancipation des femmes, il s’agit aussi d’interroger les défis persistants auxquels font face les femmes en Haïti aujourd’hui.
Dans un monde où les luttes des femmes sont souvent confinées à des géographies précises, l’histoire d’Aoua Kéita, militante malienne du XXe siècle, résonne fortement avec les combats que mènent aujourd’hui encore de nombreuses femmes haïtiennes. Figure centrale de l’émancipation féminine en Afrique de l’Ouest, Aoua Kéita incarne un héritage transcontinental de résistance contre le patriarcat, l’exclusion et le silence. Son histoire, bien qu’ancrée dans le contexte malien, parle aussi à la réalité haïtienne, où les femmes peinent à faire entendre leur voix dans les sphères politique, sociale et économique.
Née en 1912 ,à Bamako, au Mali à une époque où l’éducation des filles était marginalisée, Aoua Kéita fait partie des premières femmes diplômées d’Afrique de l’Ouest. Elle devient sage-femme, puis s’engage très tôt dans les luttes pour l’indépendance du Soudan français, futur Mali. À travers son engagement politique, elle défie une société verrouillée par des traditions patriarcales tenaces. Élue députée en 1959, elle se bat sans relâche pour les droits des femmes dans les structures postcoloniales nouvellement formées, où la question du genre restait une arrière-pensée. Elle décédée en mai 1980.
Son livre « Femme d’Afrique », publié en 1975, est un véritable manifeste féministe, un cri du cœur contre l’invisibilisation des femmes africaines. Elle y expose la marginalisation que subissent les femmes, de l’école à la politique, du foyer au monde du travail. Pour elle, l’indépendance politique de l’Afrique ne pouvait être qu’un leurre si elle se construisait sur l’exclusion des femmes.
Ce récit d’engagement n’est pas étranger aux femmes haïtiennes. En Haïti, les structures patriarcales héritées de la colonie et entretenues par des siècles d’exclusion économique et politique continuent d’opprimer les femmes. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : faible représentation féminine au Parlement, violences basées sur le genre en constante augmentation, marginalisation économique, analphabétisme plus marqué chez les femmes. Et pourtant, comme au temps d’Aoua Kéita, les femmes haïtiennes sont en première ligne, dans les marchés, dans les hôpitaux, dans les quartiers populaires, et trop souvent, dans les cimetières.
Aoua Kéita savait que briser le silence, écrire son vécu, transmettre sa parole était déjà un acte de résistance. Aujourd’hui, dans un pays comme Haïti, où les femmes sont souvent les premières victimes de l’instabilité politique, de l’insécurité et de la pauvreté, cette parole demeure essentielle. Elle vient renforcer celle d’autres femmes haïtiennes qui, depuis longtemps, portent aussi la lutte pour l’égalité, parfois dans la plus grande discrétion, parfois à visage découvert.
Le combat de Kéita nous rappelle que la libération des femmes ne saurait être une question secondaire ou marginale. Dans les années 1960, elle dénonçait déjà le fait que les hommes qui avaient lutté pour l’indépendance de leurs pays reproduisaient ensuite les mêmes systèmes d’exclusion qu’ils avaient combattus. Ce constat, douloureusement actuel, vaut aussi pour Haïti. Ici aussi, les femmes ont joué un rôle central dans les luttes révolutionnaires pour aboutir à l’indépendance d’Haïti et dans la résistance populaire, mais elles continuent d’être écartées des lieux où se prennent les décisions.
« Femme d’Afrique » n’est pas simplement un témoignage africain. C’est une mémoire partagée, une incitation à la solidarité féminine à travers les continents, une invitation à repenser nos sociétés. Ce livre devrait être lu dans les écoles haïtiennes, dans les universités, dans les organisations de femmes, car il donne à penser un féminisme enraciné, concret, courageux. Un féminisme qui ne vient pas d’en haut, mais de l’expérience vécue de celles qui, comme Aoua Kéita, comme tant de femmes haïtiennes aujourd’hui, refusent de rester dans l’ombre.
Par : Feguerson Fegg THERMIDOR
ecrivainfeguersonthermidor@gmail.com