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Auteur : Klarens-Berry GUERRIER 

CFEF : une institution essentielle reléguée à la marge du système éducatif haïtien

Le CFEF a pour objectif de recruter pour l'État haïtien d'enseignants pour les trois cycles de l'école fondamentale, ainsi que des conseillés pédagogiques et de directeurs d'école pour l'école fondamentale, tant en formation initiale et continue. Toutefois, depuis 2019, cette institution est en crise, victime du COVID-19, d’insécurité et de mauvaise gestion administrative.

Survol historique sur l’école fondamentale en Haïti

Dès la naissance de l’État haïtien, l’éducation a été considérée comme un des axes principaux dans la construction du pays. La constitution haïtienne de 1816 décréta que l’enseignement fondamental serait prodigué gratuitement, ce qui traduisait un début de volonté de démocratiser l’apprentissage (Louis Auguste Joint, 2007). Néanmoins, le manque criant d’infrastructures, des ressources, ainsi qu’un véritable système éducatif freinaient l’accessibilité à l’éducation. Cependant, selon Louis Auguste Joint, ces contraintes n’ont pas empêché les autorités haïtiennes de continuer à promulguer l’importance de l’enseignement primaire. C’est ainsi, dans la constitution de 1874, plus précisément en son article 33, il stipulait : « l’enseignement primaire a été reconnu comme étant obligatoire dans le but de scolariser les enfants et d’accroître la main-d’œuvre à forte valeur ajoutée dans le pays ». Malheureusement, cet article est resté peu appliqué, à cause d’un nombre restreint d’écoles, du manque de formation des enseignants, et l’absence d’un cadre institutionnel.

En 1979, sous le régime des Duvalier, le système éducatif haïtien est entré dans une nouvelle phase avec la réforme de Bernard, qui sera considérée comme une tentative vers un système éducatif modernisé (Léon Ganie, 1993). Cette réforme a donné naissance à l’école fondamentale, le nouveau nom officiel de l’école primaire, dont la structure éducative se compose désormais de trois cycles à réaliser en neuf ans. Dans le cadre de la réforme de Bernard, l’école fondamentale est principalement destinée à fournir un enseignement général visant à permettre au maximum d’enfants d’atteindre un niveau de connaissances générales et d’avoir l’opportunité de se qualifier pour l’enseignement secondaire ou d’entrer dans un processus productif. C’est dans cette perspective que le décret du 9 juin 1979 a établi le Centre de Formation pour l’École Fondamentale (CFEF) : une institution moderne d’enseignement supérieur créée par le Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP), le 9 juin 1999, dans le cadre du Plan de Formation Pédagogique Nationale (FPN) de 1997. 

Le CFEF a pour objectif de recruter pour l’État haïtien d’enseignants pour les trois cycles de l’école fondamentale, ainsi que des conseillés pédagogiques et de directeurs d’école pour l’école fondamentale, tant en formation initiale et continue. Toutefois, depuis 2019, cette institution est en crise, victime du COVID-19, d’insécurité et de mauvaise gestion administrative.

Déclin du  Centre de Formation pour l’École Fondamentale (CFEF)

Depuis 2020, le Centre de Formation pour l’École Fondamentale (CFEF) fait face à une crise persistante. Cette année-là, il a été contraint de fermer ses portes en raison de la pandémie de COVID-19. En 2021, la situation s’est aggravée avec la montée de l’insécurité. Le quartier de Martissant, en proie à de violents affrontements, est devenu une zone dangereuse, forçant la fermeture du centre une nouvelle fois pendant près de deux ans. Après plusieurs mobilisations des étudiants, le ministère de l’Éducation Nationale a dû relocaliser le CFEF dans les locaux du lycée Toussaint Louverture, sise à la rue Saint-Honoré. 

Cependant, depuis la recrudescence du banditisme en mars 2024, plus personne ne sait ce qu’est devenu le centre de formation. Le jeudi 20 mars 2025, une question cruciale a d’ailleurs été posée dans les colonnes du journal Le Nouvelliste : « Où est passé le centre de formation pour l’école fondamentale de Port-au-Prince ? »

Paradoxalement, depuis le mandat du ministre Nesmy Manigat, le ministère de l’Éducation nationale ne cesse de répéter son slogan : Lekòl paka tann (L’école ne peut pas attendre). Dès lors, une question pertinente se pose : quelle place occupe réellement le CFEF dans cette vision ? Pourtant, ce même ministre, qui prône Lekòl paka tann, a introduit quatre nouvelles matières dans le curriculum scolaire : l’Éducation à la technologie et aux activités productives, l’Éducation esthétique et artistique, l’Éducation physique et sportive, entre autres. Le CFEF est d’ailleurs reconnu comme l’une des institutions disposant de professeurs compétents et qualifiés pour enseigner ces disciplines.

Dès l’arrivée du ministre Antoine Augustin, une volonté claire s’est manifestée pour faire avancer ce projet qui s’inscrit dans une démarche de modernisation de l’école fondamentale en Haïti. Mais alors, que faire du CFEF ? Le CFEF, sans détour, est un pilier de la réforme qu’il préconise. Pourtant, depuis mars 2024 jusqu’à aujourd’hui, le centre se trouve dans les nuages. L’administration du CFEF a essayé quelques initiatives pour la reprise des cours, parfois en ligne et/ ou en présentiel, mais c’est pas tout à fait ! En revanche, le MENFP ne fait rien pour un fonctionnement opérationnel et constant du centre comme il a fait pour les autres directions. 

CFEF : marginal dans son propre ministère

Le CFEF est l’une des directions parmi les plus importantes attachées au ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle ( MENFP) qui se trouve maintenant en agonie. Il sert à jouer un rôle paradoxale, néanmoins soumis à un statut marginal, pratiquement une case vide sur l’équation institutionnelle. On est ici dans une situation d’altérité dans le sens où au sein du MENFP, il y a une culture de l’autre qui se développe. Parce que, le CFEF, bien qu’il ait pour première mission de former des enseignants pour l’école fondamentale, est confronté à une forme de mépris institutionnel qui se traduit par un manque de reconnaissance, de ressources et d’influence à l’égard des autres directions. Ainsi, la fameuse expression créole suivante  » yo konsidere CFEF kòm pitit deyò  » a mentionné sur les pancartes des CFEFIENS qui manifestaient pour demander leur frais de probation et l’intégration dans le système. Le CFEF est perçu comme l’autre, comme étranger, c’est un « autre au sein du même », à la fois, toléré mais non valorisé, qui existe à la marge du pouvoir légitime, sans influence sur le prestige, les budgets et les moyens efficacement concédés à d’autres entités du ministère. Pour certains, cette relégation s’explique par le fait que l’école fondamentale n’est pas priorisée en Haïti. 

Donc le CFEF est relégué dans la hiérarchie institutionnelle et, cette relégation est manifeste. Les grilles d’analyse proposées par l’Anthropologie politique et institutionnelle permettent de comprendre le CFEF en tant qu’ « acteur dominé » dans un territoire encombré par des luttes symboliques particulièrement rudes. Sa place marginale n’est pas seulement une question d’ordre administratif, mais doit être comprise en termes de rapport de force la légitimité de certaines directions et leurs ressources correspondantes étant appréhendées comme tout à fait monopolaires. 

CFEF : entre le processus de privatisation et tâtonnements

Depuis que Frid BIEN AIMÉ a occupé le poste de directeur administratif du CFEF, l’idée de rendre ce centre payant a toujours été évoquée. Pourtant, depuis sa création, les étudiants n’ont jamais eu à payer de frais pour leur formation. Il est à noter que, les manifestations des étudiants ont conduit à la destitution de deux membres de cette administration. Ce qui allait donner la chance à une nouvelle administration en 2022 sous l’obédience du ministre PHTKiste Nesmy Manigat. L’administration en place depuis lors semble vouloir concrétiser cette idée. 

En effet, la nouvelle promotion qui devait intégrer le centre cette année s’est vue imposer des frais annuels de 3000 gourdes. De plus, pour obtenir une attestation, il faut désormais verser 1000 gourdes, sans compter une somme non précisée exigée pour la correction du rapport de fin d’étude. C’est ainsi que cette décision a provoqué une vague de contestation parmi les étudiants, qui dénoncent une initiative imposée sans concertation. Selon les propos des dirigeants du centre, il s’agirait d’une solution pour faire face à la crise actuelle. Mais est- ce réellement la seule mesure envisageable et meilleure ?

Il faut dire aussi l’administration actuelle, ayant à sa tête Jacques Ronald Jean, Delanaud Alfred et Médard Mercedes avance à tâtons depuis sa rentrée. En 2023, ils ont proposé d’ouvrir une porte permettant aux étudiants en formation et anciens étudiants du CFEF de contribuer financièrement afin d’alimenter le fonds du centre. Paradoxalement, selon le directeur administratif, ses versements devraient déposer sur le compte d’un syndicat appelé REFERANS. Cependant, depuis cette annonce, personne ne sait s’il  y a des versements qui ont réellement été effectués ou non.

La crise de l’école fondamentale en Haïti

La formation de base en Haïti, censée représenter la refondation du système éducatif haïtien, est confrontée à de nombreuses difficultés qui compromettent son efficacité. Depuis la réforme initiée par Bernard pour améliorer la qualité de l’enseignement, plusieurs rapports ont mis en lumière des carences structurelles persistantes, notamment : la formation insuffisante des enseignants, l’absence de ressources pédagogiques, ou encore la problématique linguistique, entre autres. Il n’est donc pas surprenant que ces lacunes influent sur les taux de redoublement et d’abandon scolaire, déjà trop élevés, menaçant ainsi l’avenir de milliers d’élèves.

Selon un rapport publié en 2013 par le MENFP, l’échec scolaire en Haïti après la réforme Bernard s’explique par plusieurs facteurs structurels. Le rapport insiste avant tout sur l’insuffisance et la piètre qualité de la formation des enseignants, un problème toujours préoccupant.

Auprès du MENFP, pour 2012-2013, sur les 60 121 enseignants œuvrant au niveau fondamental, seulement 21% sont jugés qualifiés. En raison de l’absence de formation de base, ils sont incapables d’enseigner correctement. Ce qui conduit à des taux de redoublement et d’abandon élevés. Cette réalité concerne également 

le niveau préscolaire, où l’on recense  environ 20000 enseignants sans formation en didactique de la petite enfance. Ce qui compromet l’ensemble du processus éducatif de l’enfant.

En ce qui concerne d’autres experts, ils sont en total désaccord. En premier lieu, les enseignants ne sont pas bien formés et utilisent des méthodes qui mettent l’élève au piquet, ils apprennent principalement par cœur, ce qui réduit considérablement la participation active des apprenants. De plus, les ressources didactiques sont très limitées : seulement 17 % des écoles fondamentales disposent de livres, et les enseignants utilisent souvent des manuels obsolètes. 

Par ailleurs, la guerre linguistique entre le français et le créole continue de nuire au processus d’apprentissage. Le créole devrait être la langue d’enseignement selon la reforme de Bernard, mais il n’y a pas de ressources pédagogiques, ce qui rend son utilisation au mieux inefficace. En ce qui concerne le français, il est pratiquement le seul utilisé dans le cadre de l’enseignement, mais pourtant, une majorité d’enseignants et d’élèves ne le parlent pas, ce qui mène à une absence de diffusion des connaissances et un échec scolaire massif.

C’est dans ce même contexte, à l’ouverture de l’atelier sur les résultats de l’Évaluation nationale 2022 (ENA 2022), que M. Roblin, le Directeur général du ministère, a attiré l’attention des participants sur la situation préoccupante de l’évaluation scolaire dans le système éducatif haïtien. Celle-ci est marquée par des taux d’échec élevés, notamment aux examens officiels, ainsi que par des taux importants de redoublement et d’abandon. « La radiographie de ces résultats est inquiétante. En tenant compte de toutes les pathologies dont souffre le système éducatif haïtien, le ministère intervient en vue de redresser la barre », a déclaré M. Roblin, tout en plaidant pour le renforcement de l’inspectorat et la dotation des écoles en matériels didactiques et pédagogiques.

Perspectives

Le CFEF est, d’une certaine manière, le seul centre de formation pour les enseignants de l’éducation du trois premiers cycles fondamentaux dans les dix départements du pays. D’un autre côté, il est actuellement piégé tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Sa situation ne peut plus être ignorée par l’une des divisions du ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP). Ce dernier doit, de toute urgence, prendre des mesures pour le relocaliser et envisager la construction d’un hébergement approprié pour répondre à ses besoins. De plus, il est important de veiller à ce que les étudiants du CFEF soient intégrés dans le système éducatif haïtien. Trop souvent, ces enseignants qui ont reçu une formation rigoureuse ne peuvent pas intégrer les écoles publiques qui font face à une crise multidimensionnelle. Or le CFEF est un maillon clé pour faire bouger positivement l’école fondamentale en Haïti.

Par : Klarens-Berry GUERRIER 

Enseignant, étudiant en Anthropo-Sociologie et en Histoire à l’UEH.


Bibliographie sélective

• Coste, D., & Cavalli, M. (2015). Éducation, mobilité, altérité : Les fonctions de médiation de l’école. Direction générale de la démocratie, Conseil de l’Europe. www.coe.int/lang/fr.

– Ganie, L. (1993). Poupulation et réformes éducatives en Haï : Questions relatives à l’analyse de l’évolution d’un système éducatif.

• Hector, M., & Hurbon, L. (s.d.). La genèse de l’État haïtien, 1804-1859. Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme.

• Joint, L. A. (2007). Système éducatif et inégalités sociales en Haïti : Le cas des écoles catholiques. L’Harmattan.

• Lévy, J., & Lussault, M. (2003). Le dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés (Mode d’emploi). Belin.

• MENFP. (2022). Atelier sur les résultats de l’Évaluation nationale 2022 (ENA 2022) pour la 6e année fondamentale. Le Nouvelliste. www.lenouvelliste.com

• MENFP. (1997). Plan national de formation, curriculum du CFEF, règlement des diplômes du CFEF.

• Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle. (2019, mars). Politiques nationales d’éducation non formelle et de formation professionnelle.

• Telusma, F. (2020, 12 novembre). Le système éducatif haïtien entre réforme ou mirage ? Madinin’Art. https://madinin-art.net/le-systeme-educatif-haitien

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Klarens-Berry GUERRIER 
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