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Depuis plus de trois jours, les clients de la compagnie téléphonique Digicel sont confrontés à une interruption majeure des services. La connexion Internet, parmi d’autres, est devenue indisponible, plongeant plusieurs milliers d’utilisateurs dans une situation de frustration et de désarroi. La cause de cette panne, initialement présentée par la compagnie comme étant liée à des problèmes techniques, est en réalité beaucoup plus complexe. Ce dysfonctionnement est aggravé par un conflit entre Digicel et l’hôtel Kaliko Beach Club, lequel bloque l’accès des techniciens de la compagnie aux infrastructures nécessaires à la réparation d’un câble sous-marin crucial pour la connexion Internet.
Ce câble, qui relie Haïti aux États-Unis, traverse la propriété de l’hôtel. Cependant, un différend financier, lié à une dette non payée de plus de 2,5 millions de dollars, empêche toute intervention technique sur le site. Ce blocage, combiné à la nature vitale de ces infrastructures pour le fonctionnement d’Internet dans le pays, expose les clients de Digicel à des désagréments prolongés, mettant à nu les tensions entre les deux parties.
Le véritable perdant de ce conflit
Les services de la Digicel ont été interrompus depuis la matinée du 14 septembre 2024. Jean Philippe Brun, Directeur général de Digicel, a informé le public sur son compte X que le problème technique avait été identifié et que les techniciens étaient à pied d’œuvre pour y remédier. Quelques heures plus tard, Brun a révélé que les techniciens étaient dans l’incapacité d’accéder au câble sous-marin, car les responsables de l’hôtel Kaliko Beach Club bloquaient leur accès.
Le propriétaire de l’hôtel, Emmanuel Fritz Paret, a répondu dans une lettre ouverte le 15 septembre 2024, dénonçant une dette impayée de 2,5 millions de dollars, montant que Digicel devait pour avoir utilisé la propriété pour le passage du câble. Selon Paret, cette dette remonte à 2019 et, malgré plusieurs tentatives pour régler la situation, aucun paiement n’a été effectué. « Ce montant, bien qu’important, est relativement faible par rapport aux bénéfices annuels de Digicel », a-t-il souligné, insistant sur l’importance du respect des engagements contractuels.
Paret a également évoqué des questions de sécurité, déclarant que son hôtel, ainsi que d’autres établissements dans la région de Carries, sont sous la menace de gangs. Il a laissé entendre que la sécurité des lieux est une autre raison justifiant son refus de laisser les techniciens de Digicel intervenir.
Cependant, la compagnie de télécommunication réfute ces allégations, affirmant dans une note du 16 septembre qu’elle ne doit aucun montant à Paret Hospitality Group S.A. « Digicel veut être clair : Nous n’avons aucune dette envers Paret hospitality group S.A » a affirmé la compagnie en précisant que cette affaire fait l’objet d’une procédure judiciaire depuis 2021, toujours en cours.
En attendant une issue favorable, ce sont les clients de Digicel qui souffrent. Privés d’accès à Internet et de communications téléphoniques fiables, ils se retrouvent dans une situation délicate, payant des services qu’ils ne reçoivent pas. Pour ces milliers d’utilisateurs, la situation est critique, d’autant plus que l’accès à Internet est devenu un besoin fondamental, notamment dans un pays où les communications sont souvent le seul lien avec l’extérieur.
Digicel, rien qu’un mal
La situation illustre bien la dépendance du pays à l’égard de Digicel. Quand la compagnie a installé son réseau de télécommunication en Haïti en 2006, elle s’attendait à atteindre 300 000 clients en cinq ans. Cet objectif a été atteint en un mois seulement. Aujourd’hui, après des investissements initiaux de 130 millions de dollars, la Digicel, selon un article publié par Ayibopost sur le dossier, engrange plus d’un demi-milliard de dollars de revenus annuels.
Si la compagnie blanc et rouge a pu conquérir rapidement une place de leader, elle n’est pas exempte de critiques. La qualité de ses services, notamment en matière d’Internet, laisse à désirer.
En effet, un rapport de l’Internet Society Chapitre Haïti (ISOC Haïti) publié en 2021 a indiqué que 60 % des clients de Digicel sont insatisfaits, principalement en raison de la lenteur et des coupures fréquentes d’Internet.
Malgré des plaintes constantes, la Digicel continue d’augmenter ses tarifs sans préavis. Un forfait mensuel de 30 Gigabits d’Internet coûte désormais environ 3000 gourdes, un plan de 100 gourdes pour 24 heures avec Internet illimité est transformé en un plan de 120 gourdes pour 24 heures avec seulement 6 Gb. Et bien souvent, la qualité de la connexion ne correspond pas à ce que les clients paient.
En dépit des critiques virulentes, souvent exprimées sur les réseaux sociaux, la compagnie, désormais détenue par des investisseurs basés aux États-Unis, joue la carte du « Je m’en foutisme » face à un peuple en détresse et en plein déclin.
Peu de médias osent critiquer ouvertement la Digicel, car la compagnie est un partenaire publicitaire incontournable en Haïti. Nous-mêmes, pourrions-nous leur demander de la critiquer ? Que se mettraient-ils sous la dent, ces journalistes, analystes, éditorialistes, et autres qui dépendent de la manne publicitaire de la compagnie ? Allons-nous les priver de cette mine d’or ? Ce serait mal comprendre l’adage : « on ne parle pas avec la bouche pleine. »
L’État, lui aussi, garde le silence, car Digicel se substitue souvent aux actions de ce dernier, en prenant en charge des tâches que les autorités devraient accomplir.
La Natcom, considérée comme l’autre grande compagnie qui domine le marché de la téléphonie mobile en Haïti aux côtés de Digicel, offre également des services on ne peut plus exécrables. Digicel et Natcom, du pareil au même, comme on dit. Et tout cela, au détriment d’une clientèle sans véritable alternative.
Cette guerre silencieuse entre Digicel et Kaliko Beach Club affecte durement les millions d’abonnés de la compagnie, qui se retrouvent pris en otage d’un conflit financier qui ne les concerne en rien. Tant que ce différend persiste, ces clients, déjà usés par la mauvaise qualité des services et les hausses de prix inexpliquées, continueront à subir les conséquences d’une situation dont ils sont les véritables victimes. Ce litige ne fait que mettre en lumière la fragilité du secteur des télécommunications en Haïti, où les intérêts financiers priment sur le service public, au détriment d’une population vulnérable et épuisée.
Wilsonley Simon
simonwilsonley35@gmail.com
Plim ak men se plimen mo.