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Auteur : Feguerson Fegg THERMIDOR

L’engagement dans la littérature haïtienne : une plume au service de la justice et de l’identité

La littérature haïtienne entretient un lien indissociable avec l’engagement, un engagement qui prend racine dans l’histoire tourmentée du pays et qui traverse toutes les époques littéraires. Dès son apparition, elle s’est affirmée comme une forme de révolte contre les injustices, une arme de dénonciation sociale, politique et économique. Jean-Paul Sartre considérait la littérature comme « une arme de combat ».  Les écrivains haïtiens, quant à eux, ont toujours perçu leur plume comme un levier pour éveiller les consciences, revendiquer une part d’humanité et appeler à un avenir plus juste.

Mais qu’est-ce qui explique cette inclination naturelle des écrivains haïtiens vers l’engagement ? Pourquoi leur œuvre est-elle aussi profondément marquée par la révolte et la quête de justice sociale ? Pour comprendre cet ancrage, il est essentiel d’examiner le contexte historique, social et politique dans lequel s’est développée la littérature haïtienne, ainsi que les thématiques qui ont marqué les productions littéraires au fil des siècles.

I. Un passé chargé d’injustices : Racines de l’engagement littéraire

L’histoire d’Haïti est jalonnée de luttes, de souffrances et d’injustices, autant de raisons qui ont nourri l’engagement de ses écrivains. Premier pays noir de l’Amérique à avoir conquis son indépendance en 1804, suite  à une révolution contre le système esclavagiste imposé par la France, Haïti a immédiatement dû faire face à de nombreux défis.

L’esclavage, institution inhumaine, a laissé des séquelles profondes sur le tissu social et culturel du pays. Non seulement les richesses naturelles et économiques d’Haïti ont été pillées par les colons, mais la jeune nation indépendante s’est retrouvée accablée par une dette imposée par la France en 1825, freinant son développement. De plus, la longue occupation américaine (1915-1934) a renforcé les inégalités sociales et économiques en privilégiant l’élite économique au détriment des masses populaires.

Outre ces influences extérieures, Haïti a aussi souffert de la mauvaise gouvernance de ses propres dirigeants, souvent corrompus et déconnectés des réalités du peuple. La pauvreté endémique, l’exclusion sociale et la répression politique ont nourri une littérature de révolte, où les écrivains, témoins directs de ces injustices, ont utilisé leur plume pour dénoncer et résister.

II. La quête d’identité culturelle : un engagement littéraire fondamental

Face à ces multiples oppressions, la littérature haïtienne a très tôt cherché à réaffirmer une identité propre. L’un des premiers combats des écrivains haïtiens a été de déconstruire l’héritage colonial et de redonner à la culture haïtienne sa juste place.

Des poètes comme Félix Morisseau-Leroy, avec son poème « Mèsi Papa Desalin », ont revendiqué la valorisation des figures héroïques de l’histoire haïtienne, notamment Jean-Jacques Dessalines, souvent marginalisé dans les récits historiques officiels. Son œuvre s’inscrit dans un mouvement de réhabilitation de la mémoire nationale, en redonnant une place centrale aux héros noirs de l’indépendance.

De son côté, Anthony Phelps, dans « Mon pays que voici », exprime une double révolte : celle contre la dégradation du pays et celle contre l’oubli. Son écriture est une forme de résistance à l’amnésie collective et un appel à la reconstruction d’un État plus juste et équitable.

L’identité haïtienne s’est aussi forgée à travers une revendication [de l’égalité] raciale. Anténor Firmin, dans « De l’égalité des races humaines », s’est opposé aux thèses racistes d’Arthur de Gobineau qui prône la supériorité de la race blanche, en démontrant que la couleur de peau ne définit en rien l’intelligence ou les capacités d’un individu. Cette œuvre pionnière s’inscrit dans une volonté de valoriser la race noire et de réhabiliter son apport à la civilisation humaine.

Dans la même lignée, Jean Price-Mars, avec « Ainsi parla l’Oncle », plaide pour un retour aux sources africaines et une réhabilitation du folklore et des traditions populaires haïtiennes. Il invite les Haïtiens à embrasser leur héritage africain au lieu de le rejeter sous l’influence du colonialisme. Son travail a ouvert la voie à une littérature qui ne se contente pas de dénoncer, mais qui cherche aussi à reconstruire l’identité nationale sur des bases authentiques.

III. Une littérature engagée contre l’injustice sociale et politique

L’engagement littéraire haïtien ne se limite pas à la quête identitaire ; il est aussi profondément ancré dans la dénonciation des inégalités sociales et des abus de pouvoir.

Des écrivains comme Jacques Roumain et Jacques-Stéphen Alexis ont mis en lumière les conditions de vie des classes défavorisées et la nécessité d’une justice sociale. Roumain, dans « Gouverneurs de la rosée », raconte l’histoire d’un paysan haïtien qui tente de rassembler sa communauté autour d’un projet collectif, illustrant ainsi la lutte contre la misère et l’individualisme. Son roman est un cri d’espoir pour un renouveau social basé sur la solidarité et le travail commun.

Jacques-Stéphen Alexis, quant à lui, avec son réalisme merveilleux, donne une vision proprement haïtienne du réel. Il mêle engagement politique et mythes populaires pour peindre une société en quête de changement. Son roman « Compère Général Soleil » dénonce les dictatures et les violences infligées aux masses populaires, tout en célébrant leur résilience et leur imagination.

Parfois, la détresse est si profonde que les écrivains sombrent dans un désespoir existentiel. Massillon Coicou, dans son poème poignant, interroge Dieu sur le sens de son existence en tant que Noir : « Pourquoi suis-je nègre ? Pourquoi la mort ne m’a-t-elle pas pris avant ma naissance ? » Ce cri du cœur traduit l’oppression et la douleur d’un peuple qui se sent abandonné.

IV. La continuité de l’engagement littéraire haïtien à l’ère contemporaine

Loin d’être figé dans le passé, l’engagement littéraire haïtien se poursuit avec vigueur à l’ère moderne. Des écrivains comme Lyonel Trouillot et Frankétienne perpétuent cette tradition de dénonciation et de reconstruction.

Lyonel Trouillot, dans ses romans comme Bicentenaire, met en lumière les luttes de la jeunesse haïtienne contre l’oppression politique. Son écriture incisive et engagée questionne les échecs de l’État et les espoirs déçus du peuple haïtien.

Frankétienne, pour sa part, avec son œuvre protéiforme et son engagement dans le spiralisme, refuse toute forme de fatalisme. Son écriture, à la fois poétique et engagée, témoigne du chaos haïtien tout en ouvrant des perspectives de renaissance.

V. Une littérature au service de la vérité et du changement

L’engagement littéraire haïtien est bien plus qu’une simple posture intellectuelle ; il est un devoir moral, une nécessité imposée par l’histoire et la réalité quotidienne. Qu’il s’agisse de revendiquer l’identité nationale, de dénoncer les injustices ou d’ouvrir des perspectives de renouveau, les écrivains haïtiens ont toujours utilisé leur plume comme une arme pour défendre les opprimés et appeler à un avenir meilleur.

Aujourd’hui encore, cette tradition se poursuit, témoignant de la vitalité et de la résilience de la littérature haïtienne face aux épreuves. Plus qu’un art, elle demeure un acte de résistance et un cri d’espoir, rappelant au monde que la lutte pour la dignité humaine ne connaît ni frontières ni époque.


Par : Feguerson Fegg THERMIDOR

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ecrivainfeguersonthermidor@gmail.com

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