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Auteur : James ANTOINE

L’éducation en Haïti : entre rentabilité, inégalités et besoin d’un changement radical

Depuis un certain temps, de nombreux acteurs plaident pour une réforme du système éducatif haïtien, car ce modèle n’arrive pas à s’adapter à la réalité du pays. D’abord, tout projet d’un bon État doit préparer l’homme à être conscient et engagé. Et cela ne peut se faire que par l’éducation. Pour paraphraser Paulo Freire : « Pas d’éducation sans la conscientisation de l’homme. » Parallèlement, pour garantir une bonne éducation, il faut un État en bon état, c’est-à-dire un État qui place l’éducation au cœur de ses priorités et œuvre réellement pour l’avenir de ses citoyens.

De manière générale, en Haïti, l’État n’arrive pas à contrôler le système éducatif en raison du nombre croissant d’écoles qui ouvrent chaque jour, sans l’approbation du Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP). En revanche, grâce à des relations politiques ou amicales, certains établissements parviennent à obtenir leurs licences d’enseignement. Le clientélisme ne date pas d’aujourd’hui ; il est omniprésent dans toutes les sphères sociales du pays.
Ainsi, l’éducation devient un produit en solde, dont le prix varie en fonction du milieu social, de la famille et même de la religion.

Il convient de se demander : Pourquoi Haïti se retrouve-t-elle avec un système éducatif à plusieurs vitesses ? Comment en sommes-nous arrivés là ? Et surtout, pourquoi est-il impératif de changer radicalement ce modèle d’éducation ? Autant de questions cruciales qui seront abordées dans cet article.

L’école en Haïti, une entreprise qui rente

En Haïti, ces derniers temps, les établissements scolaires figurent parmi les entreprises les plus rentables, aux côtés des églises. Ce n’est pas un hasard si presque chaque église possède son propre établissement scolaire, renforçant les liens entre les communautés religieuses et éducatives. Toutefois, l’enseignement au niveau primaire et secondaire varie considérablement en termes de qualité. Même parmi les écoles dites « congréganistes » , on observe des disparités importantes, reflétant un système éducatif fragmenté et inégalitaire.

L’intégration des églises dans le système éducatif haïtien remonte à plusieurs siècles. Par exemple, l’église protestante, installée en Haïti dès le début du XIXᵉ siècle (entre 1810 et 1820). Elle s’est pleinement impliquée, depuis son apparition, dans l’enseignement primaire et secondaire du pays. Alors que, l’église catholique qui est là depuis l’époque coloniale, fortement implanté depuis l’accord concordataire de 1860, a joué un rôle prépondérant dans la structuration du système éducatif. Il consolide son influence à travers des écoles presbytérales et des établissements dirigés par des prêtres et des religieuses.

Dans ces institutions catholiques, des pratiques distinctes des normes étatiques sont souvent observées. Le créole, par exemple, est interdit dans les discussions scolaires, et les programmes éducatifs, ainsi que les manuels utilisés, diffèrent de ceux prescrits par l’État haïtien. Bien que ces écoles soient officiellement intégrées au système éducatif, elles opèrent de manière autonome, créant ainsi une dualité dans l’offre éducative. Ce modèle d’éducation contrasté exacerbe les inégalités, où les écoles publiques peinent à rivaliser avec les établissements privés et confessionnels.

Face à l’incapacité de nombreux parents de répondre aux exigences financières des écoles dirigées par les congrégations religieuses, des alternatives informelles, telles que les écoles de quartier (« Kay Lambert » ou « Kay Ti Marckzo »), ont émergé pour combler ce vide. Ces écoles, bien que souvent mal équipées et sous-financées, témoignent de l’urgence d’une réforme structurelle du système éducatif haïtien.

Éducation comme source du bien-être

L’éducation est la clé de la liberté, tout comme elle est essentielle pour le bien-être, que ce soit à un niveau individuel ou collectif. En conscientisant l’individu, il devient responsable, acteur du changement et attaché à sa patrie. Lorsqu’on sépare un individu de sa culture, en particulier de sa langue comme élément culturel, il devient un étranger à lui-même. Autrement dit, c’est un individu à double absence : son corps est sur le sol haïtien, mais il se sent français ou anglais sans connaître ces pays. Après la Révolution cubaine (1959), l’éducation est devenue une arme puissante pour contrer l’Occident. Aujourd’hui, Cuba affiche le taux d’alphabétisation le plus élevé d’Amérique latine soit 99,8% pour les femmes, 99,9 pour les hommes, et avec un peuple éduqué sur les plans social et politique. L’éducation politique commence dès l’âge de 8-9 ans et se poursuit jusqu’à l’âge adulte. Ainsi, la santé et l’éducation sont totalement contrôlées par l’État, ce qui réduit considérablement l’inégalité. De même qu’en Chine, depuis l’arrivée de Mao, l’éducation, la santé et l’alimentation sont considérées comme des engagements et des responsabilités d’un système socialiste, voire communiste, où l’éducation est la base du bien-être individuel et collectif.

Éducation : le mal du pays

Lors de la campagne électorale de 2010-2011 en Haïti, la population, marquée par des décennies de gouvernance instable et de corruption, s’est retrouvée face à un choix décisif. Michel Martelly, surnommé “Sweet Micky”, a émergé comme une figure anti-establishment, promettant un renouveau politique. Certains ont justifié leur vote pour Michel Martelly en déclarant : « Nou vote twòp nèg ak vès, n ap eseye yon vakabon kounye a. » (« Nous avons trop voté pour des hommes en costume, essayons maintenant un vaurien »), Ce slogan, né du peuple, montre à quel point la population ne se sentait pas représentée et a perdu foi dans les élites.

Le système éducatif, quant à lui, n’a pas réussi à former une population suffisamment consciente et critique, limitant ainsi sa capacité à faire des choix électoraux éclairés. Par conséquent, ces facteurs ont conduit à une méfiance croissante envers les élites traditionnelles et un fossé grandissant entre celles-ci et les classes populaires.

En guise de conclusion, comme l’a souligné Pierre Bourdieu, « toutes les sociétés ont des systèmes éducatifs qui perpétuent les inégalités sociales », ce qu’il appelle l’« école de la reproduction ». Cependant, dans d’autres pays, ces systèmes respectent des principes et des cadres établis par l’État, contrairement à Haïti, où le manque de régulation renforce les fractures sociales et éducatives. Ainsi, il est urgent d’unir les différents acteurs pour bâtir une éducation équitable, inclusive et respectueuse des réalités haïtiennes. Voilà pourquoi, nous devons promouvoir une éducation accessible, inclusive et enracinée dans notre culture et notre essence. Une éducation par nous-mêmes et pour nous-mêmes, capable de refléter nos valeurs et de bâtir une société plus juste et prospère. De plus, nous devons avoir une formation équitable et adaptée à la réalité sociale et culturelle des élèves.

Par : James ANTOINE

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