Auteur : Jeff Jean

L’État haïtien à l’épreuve des colères populaires et du crime organisé

Depuis plusieurs semaines, les habitants de Mirebalais ont saboté les pylônes électriques alimentant la région depuis la centrale hydroélectrique de Péligre. Cette action, bien que radicale, a été une tentative désespérée de la population pour attirer l’attention des autorités sur l’insécurité croissante dans la zone. En l’absence de réponse adéquate de l’État, les citoyens ont pris des mesures drastiques pour se faire entendre.

Face à cette crise, l’État haïtien a opté pour une solution controversée : rétablir l’électricité à Port-au-Prince en s’appuyant sur la centrale de Carrefour, renforcée par les 25 mégawatts de la centrale d’E-Power. Cette décision a été prise sans résoudre les problèmes fondamentaux d’insécurité qui ont conduit à la coupure initiale.

Par ailleurs, des rapports indiquent que l’État aurait établi des accords avec des chefs de gangs contrôlant certaines zones, notamment à Carrefour, pour garantir la distribution d’électricité. Cette collaboration soulève de vives inquiétudes quant à la légitimité et à l’efficacité des institutions étatiques, semblant privilégier des ententes avec des groupes armés au détriment de solutions durables et sécurisées pour la population.

Dans ce contexte, les gangs armés exploitent le vide laissé par l’État en se présentant comme des bienfaiteurs, distribuant des kits alimentaires et de l’argent aux populations locales. Cette stratégie rappelle le concept de « bandit social » décrit par l’historien Eric Hobsbawm, où des figures criminelles sont perçues comme des héros populaires. Cependant, en Haïti, cette dynamique contribue à l’érosion de l’autorité de l’État et à la normalisation de la violence.

La situation actuelle reflète une profonde crise de gouvernance. L’État, en pactisant avec des groupes armés et en négligeant les revendications légitimes de ses citoyens, compromet sa légitimité et son rôle de garant de la sécurité et du bien-être de la population. Il est impératif de repenser les stratégies de gouvernance pour restaurer la confiance et assurer un avenir stable pour Haïti.

Le statu quo politique en Haïti est le résultat d’une combinaison de facteurs historiques, institutionnels et sociaux qui entravent la mise en place d’un État de droit fonctionnel. Depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, le pays est plongé dans une crise multidimensionnelle, marquée par l’absence d’élections, la montée en puissance des gangs armés et la perte de légitimité des institutions publiques. Cette situation est exacerbée par une gouvernance déficiente, caractérisée par l’instabilité politique, la faiblesse des instances étatiques et la corruption généralisée.

L’analyse épistémique de cette crise révèle une fragmentation des acteurs non étatiques, tels que les ONG, les syndicats et les associations professionnelles, qui, bien qu’indispensables, opèrent souvent de manière ponctuelle et sans coordination. Cette dispersion des efforts empêche la construction d’un projet démocratique commun et renforce le statu quo.

Par ailleurs, la culture politique haïtienne, influencée par des décennies de régimes autoritaires et de clientélisme, contribue à la perpétuation de structures de pouvoir informelles. Les élites politiques et économiques, souvent interconnectées, maintiennent un système qui privilégie leurs intérêts au détriment du bien commun. Cette dynamique est renforcée par une dépendance à l’aide internationale, qui, bien qu’essentielle, peut parfois légitimer des acteurs non représentatifs de la volonté populaire.

Pour sortir de ce cycle de crise, il est impératif de repenser les structures de gouvernance en Haïti. Cela nécessite une refondation des institutions sur des bases démocratiques solides, une lutte effective contre la corruption et une inclusion réelle de la société civile dans les processus décisionnels. Sans une telle transformation, le pays risque de rester prisonnier d’un statu quo délétère, compromettant ainsi son développement et la stabilité de la région.

Par : Jeff Jean | RTMI

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