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En 2020, les Éditions Freda publient « Yon kòd gita », un texte poignant signé par Evelyne Trouillot. Ce livre est bien plus qu’un simple recueil de souvenirs ; il est un cri, une lamentation et une tentative de réconciliation avec un passé qui s’efface. À travers une écriture poétique et engagée, Evelyne Trouillot dresse un portrait saisissant d’un Port-au-Prince autrefois vibrant, aujourd’hui plongé dans le chaos et la désolation.
Le choix du titre, « Yon kòd gita », interpelle immédiatement. Pourquoi une seule corde et non plusieurs ? Pourquoi cette restriction, cette solitude musicale ? Ce titre semble contenir une métaphore puissante : celle d’Haïti elle-même, un pays qui a perdu une partie de son harmonie et ne joue plus que sur un dernier fil fragile. À travers cet ouvrage, Evelyne Trouillot nous invite à écouter cette corde unique, à entendre ce qu’il reste d’un chant autrefois entier.
Dans « Yon kòd gita », le chaos ne se limite pas à la destruction ; il devient un acte créatif. Evelyne Trouillot façonne le désastre pour en extraire une esthétique, où les ruines du passé servent de fondation à une réflexion profonde sur la mémoire et la reconstruction.
Le murmure d’une corde unique
« Pourquoi ‘Yon kòd gita’ et non plusieurs ? Pourquoi une seule corde plutôt que l’instrument entier ? »
Ce titre, en apparence simple, cache une immense profondeur symbolique. Evelyne Trouillot fait le choix d’évoquer une guitare blessée, une musique incomplète, comme pour incarner Haïti elle-même, dépossédée de sa mélodie d’antan. Une guitare dont une seule corde résonne encore est un instrument à la fois abîmé et résilient : il ne joue plus dans sa plénitude, mais il n’a pas totalement perdu sa voix.
Dans « Yon kòd gita », Evelyne Trouillot s’attache à la mémoire d’un Port-au-Prince en déclin, une ville qui, autrefois, vibrait au rythme de la vie et des espoirs collectifs. Aujourd’hui, cette vitalité semble s’être éteinte, laissant place à un silence oppressant. Cette seule corde qui persiste, c’est peut-être l’écho d’un passé qu’on refuse d’oublier, le dernier souffle d’une Haïti en quête de renaissance.
Le soleil voilé
« Gen delè
solèy la pliye zèl li
wa di bouch li mare
Peyi a ba l refwadisman. »
Le soleil occupe une place centrale dans « Yon kòd gita ». Evelyne Trouillot l’évoque à plusieurs reprises, non pas comme une simple image lumineuse, mais comme un témoin du temps qui passe et d’un pays qui change.
Autrefois éclatant et généreux, ce soleil se ternit dans le présent du récit. Il « plie ses ailes », il « semble bâillonné », il « se refroidit ». À travers cette métaphore, Evelyne Trouillot exprime la transformation de Port-au-Prince, une ville qui n’est plus que l’ombre d’elle-même. Ce soleil affaibli symbolise la perte d’une Haïti autrefois lumineuse, aujourd’hui étouffée par la violence et la désillusion.
Dans « Yon kòd gita », Evelyne Trouillot nous pousse à nous interroger : comment retrouver l’éclat d’hier dans un présent où tout semble s’assombrir ? Cette question, suspendue tout au long du livre, résonne comme un appel à la mémoire et à la reconstruction.
Moun pa flè : de la beauté aux cadavres
Le poème « Moun pa flè », extrait de « Yon kòd gita », est sans doute l’un des plus déchirants du livre. Evelyne Trouillot y confronte directement la réalité brutale d’Haïti, en renversant une image autrefois familière : celle des fleurs ornant les trottoirs de Port-au-Prince.
« Mwen pa konnen pouki
kap pitit vwazen an
koke sou on pye zanmann
pouki ti kadav la blayi
sou beton an
je louvri. »
Les fleurs ne sont plus. Elles ont été remplacées par des corps sans vie, par ces enfants fauchés trop tôt, par ces morts devenus banals sur les trottoirs de la capitale. Evelyne Trouillot transforme ainsi une scène de beauté en une vision macabre, dénonçant l’indifférence qui s’installe face à la tragédie quotidienne.
Ce poème est un cri d’alarme. Il rappelle que l’horreur ne doit jamais devenir normale. À travers ces vers, Evelyne Trouillot nous interpelle : pouvons-nous encore voir l’humain derrière ces corps étendus sur le béton glacé ? Pouvons-nous encore pleurer ces morts, ou sommes-nous déjà trop anesthésiés ?
Recoudre les fractures du passé
« Même l’amour est un prétexte pour recoudre le passé brisé. »
Dans « Yon kòd gita », Evelyne Trouillot ne se contente pas de dresser un constat amer. Elle cherche, entre les lignes, une manière de réparer, de réconcilier. L’amour, dans ce livre, n’est pas un simple sentiment ; il devient un outil de guérison, une tentative de reconnecter le passé et le présent.
Ce texte est avant tout un ouvrage de mémoire. Evelyne Trouillot convoque le Port-au-Prince d’autrefois non pas par simple nostalgie, mais pour rappeler qu’un autre avenir est possible. Se souvenir, c’est refuser de sombrer dans la fatalité. Se rappeler la lumière d’hier, c’est peut-être retrouver un moyen de rallumer la flamme d’aujourd’hui.
« Haïti ne peut être condamnée à la seule lamentation. Il faut recoller les os brisés, retrouver la mélodie perdue, même si elle ne tient plus qu’à une seule corde. »
Dans ce chaos qu’elle décrit, Evelyne Trouillot trouve une force créative, une esthétique du désastre où chaque mot devient une tentative de réparation. La poésie, chez elle, n’est pas seulement une élégie ; elle est une arme, une incantation, un acte de survie.
Une corde qui résiste
En refermant « Yon kòd gita », une question demeure : que signifie cette unique corde qui persiste à vibrer ?
C’est peut-être l’ultime battement d’un cœur qui refuse de s’éteindre. C’est la trace d’une culture qui, malgré tout, survit. C’est la voix d’Haïti, brisée mais toujours là, fragile mais têtue.
Evelyne Trouillot ne nous donne pas de réponses toutes faites. Elle nous invite à écouter cette corde unique, à en saisir l’écho. Car même dans le chaos, même lorsque la musique semble s’être tue, il suffit d’une note pour espérer une nouvelle mélodie.
Dans « Yon kòd gita », ce recueil de poèmes publié en 2020 aux éditions Freda, le chaos n’est pas un point final. Il devient une matière première, une force créatrice qui oblige à repenser l’avenir. Evelyne Trouillot transforme la douleur en langage, la ruine en poésie, l’oubli en mémoire. Dans cet univers où tout semble se dissoudre, elle prouve que même une seule corde suffit à faire renaître une chanson.
Par : Feguerson Fegg THERMIDOR
ecrivainfeguersonthermidor@gmail.com