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À l’occasion de la 11e célébration officielle de la Journée internationale pour l’élimination de la violence sexuelle en temps de conflit, organisée par les Nations Unies, le 19 juin dernier, Pascale Solages, coordonnatrice générale de l’organisation féministe Nègès Mawon, a livré un message bouleversant et incisif sur la situation dramatique que vivent les femmes haïtiennes, tout en plaidant pour une réponse décoloniale, féministe et fondée sur la justice sociale.
Prenant la parole lors de cet événement coorganisé par les Bureaux du Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU chargé de la violence sexuelle dans les conflits, du Représentant pour les enfants et les conflits armés, et de la Mission permanente de l’Argentine, Pascale Solages a immédiatement ramené l’auditoire à une douloureuse réalité haïtienne.
« J’ai regardé cette vidéo et elle m’a rappelé le film Les Enfants du Coup d’État, de Rachel Magloire », a-t-elle déclaré. Un documentaire qui donne la parole aux survivantes haïtiennes de viols survenus entre 1991 et 1994, lors du coup d’État militaire, et jusqu’en 1999. « Ces femmes ont été forcées de porter des grossesses dans un pays où l’avortement est complètement criminalisé », a-t-elle rappelé.
Elle a évoqué les violences sexuelles systémiques sous la dictature des Duvalier, soulignant le caractère colonial et politique de l’utilisation du viol comme arme de domination et de déshumanisation. « Dans un pays colonisé, l’utilisation du viol remonte à l’esclavage, lorsque le viol des femmes noires asservies était institutionnalisé pour maintenir un système de contrôle », a-t-elle souligné.
Mais cette violence, a-t-elle martelé, ne s’est jamais arrêtée. Aujourd’hui, Haïti traverse une crise multidimensionnelle et meurtrière. Entre janvier et mars 2025, Pascale Solages rappelle que 1 617 personnes ont été tuées, 580 femmes blessées dans des violences liées aux gangs, 161 personnes enlevées, et plus de 1,3 million déplacées, dont une majorité de femmes et de filles.
« Ce sont aussi des milliers de femmes violées, qui n’ont pas accès à la justice, qui contractent des IST, tombent enceintes à la suite d’un viol, et sont souvent abandonnées totalement. »
Elle accuse le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) de ne pas avoir assuré la sécurité des familles et de n’avoir pas été à la hauteur des enjeux.
Pascale Solages insiste également sur le fait que la violence sexuelle est devenue une arme stratégique pour les groupes armés, et que les victimes sont souvent invisibilisées.
« Ces actes laissent des cicatrices physiques, mais surtout des traumatismes individuels et collectifs qui se transmettent d’une génération à l’autre. La guérison reste inaccessible à cause du déni de justice, du manque de financement et de l’absence de réponses centrées sur les femmes. »
Face à ce constat, elle affirme :
« En tant que femme haïtienne et féministe ayant moi-même survécu à des violences sexuelles, je sais qu’il est fondamental de briser le cycle, de guérir les cicatrices et de s’attaquer aux effets intergénérationnels. »
À ce sujet, elle met en exergue le travail des organisations féministes du Sud, comme Nègès Mawon, qui proposent des approches de guérison communautaire, dignes et autonomisantes, à l’instar du programme « Marrainage », centré sur la résilience des survivantes.
« Ces méthodes sont ancrées dans les cultures et les vécus des femmes, loin des approches coloniales souvent imposées par l’extérieur. »
Enfin, elle a lancé un appel aux instances internationales, appelant à ne plus traiter les femmes uniquement comme victimes : « Les femmes ne sont pas seulement des victimes. Ce sont des survivantes, des organisatrices, des bâtisseuses de communautés, des agents de changement. Nous devons cesser de les effacer. Nous devons cesser de les réduire au silence. »
Par conséquent, elle réclame une inclusion systématique des survivantes et des organisations féministes dans les processus de prise de décision, d’allocation des ressources et de conception des politiques.
Pascale Solages a réaffirmé la volonté des féministes haïtiennes de continuer à s’impliquer activement dans la recherche de solutions aux crises actuelles. Selon elle, les voix des femmes doivent être entendues et prises en compte dans l’élaboration des politiques, particulièrement celles touchant à la sécurité et à la justice. « Nous savons ce que notre pays, nos communautés et notre sécurité exigent. Il est temps d’écouter nos voix », a-t-elle insisté.
Par : Emmanuel Son Guillaume | RTMI