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Ce 1er mai 2025, alors que le pays s’enfonce chaque jour un peu plus dans le chaos, le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) a tenu à célébrer la fête de l’Agriculture et du Travail à la Villa d’Accueil, dans une mise en scène bien rodée, au ton grave et aux promesses creuses. Le décor était soigné : discours solennels, dignitaires en rangs serrés, hymne au travail et à la terre. Mais dans les rues, dans les campagnes, dans les marchés, dans les quartiers cernés par les gangs, le mot « travail » n’est plus une promesse. Il est une douleur, une ironie, une insulte parfois.
Car que célèbre-t-on, exactement, dans un pays où l’État n’offre ni emploi, ni protection, ni sécurité aux travailleurs ? Que vaut un hommage aux paysans lorsque leurs terres sont livrées aux gangs, à l’érosion, au béton ou à l’oubli ? Que signifie « relancer l’économie » dans une société où le principal débouché professionnel, pour les jeunes, c’est le départ à l’étranger ou la débrouille dans l’informel ?
Les mots du Président du CPT, Fritz Alphonse Jean, sonnent comme des échos lointains d’un autre pays. « Soutenir les agriculteurs », « relancer la productivité », « regagner la confiance des investisseurs »… Autant de formules polies, sans lien apparent avec la réalité d’un pays sans État, où l’économie de subsistance tient lieu de politique publique, et où même les promesses de salaires sont devenues hypothétiques.
Le ministre de l’Agriculture, M. Vernet Joseph, lui aussi, s’est exprimé. Il a vanté le rôle « stratégique » du secteur agricole, dans un pays où l’agriculture meurt à petit feu, faute d’encadrement, de vision, et de soutien. Un pays où presque tout ce que nous mangeons vient de la République Dominicaine, sans contrôle, sans garantie, sans honte.
L’annonce d’un « Office national d’assurance chômage » par le Ministre des Affaires sociales, Georges Wilbert Franck, a fait sourire plus d’un, tant elle semble déconnectée d’un territoire où la majorité n’a jamais connu le salariat formel. En Haïti, le travail est le plus souvent invisible, non déclaré, sous-payé, subi. Il se nomme « débrouillardise », « petit commerce », « kore lavi ». Il ne mène pas à l’émancipation, mais à l’usure.
C’est peut-être cela, le vrai scandale de ce 1er mai : non pas tant la misère, mais le spectacle qu’on en fait. L’indécence de vouloir fêter le travail dans un pays où l’emploi est un privilège, où la production est asphyxiée, et où les travailleurs meurent parfois sans jamais avoir vu la couleur d’une couverture sociale.
Mais à bien y réfléchir, qui travaille réellement en Haïti ? Qui, aujourd’hui, peut vivre dignement de son activité sans tendre la main à la diaspora ou survivre à coups de miracles ? Quel est ce travail qui nourrit, soigne, instruit, loge sans appui extérieur ni combine politique ? Dans ce pays, même ceux qui « travaillent » officiellement n’échappent pas à la dépendance, à la débrouille, à l’attente. C’est peut-être là, la plus grande imposture de cette fête. On célébre le travail là où il ne permet plus de tenir debout.
Par-dessus tout, le vrai travailleur haïtien n’a ni micro, ni costume. Il s’épuise dans l’ombre, chaque jour, sans jamais faire la une. C’est à lui – et à lui seul – que devrait revenir l’honneur de ce 1er mai.
Par : WS | RTMI