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Auteur : Wilsonley SIMON

Éditorial | Bras de fer entre Garry Conille et le CPT : la transition sur le fil du rasoir

La rencontre entre le Premier ministre Garry Conille et le Conseil présidentiel de transition (CPT), tenue ce mardi 15 octobre, a viré à l’affrontement. Un seul point à l’ordre du jour : la destitution de la ministre des Affaires étrangères et des Cultes, Dominique Dupuy. Tandis que le CPT exige sa révocation, Conille, de retour au pays, refuse fermement cette injonction. Cette situation entraîne un  bras de fer entre le Gouvernement et le CPT, plaçant désormais la transition, autrefois perçue comme l’ultime espoir du pays, sur le fil du rasoir.

De retour au pays après sa visite officielle aux Émirats Arabes Unis et au Kenya, Garry Conille s’est vu contraint de faire face à l’injonction des conseillers présidentiels pour révoquer Dominique Dupuy. Une rencontre a été organisée ce mardi 15 octobre à la Villa d’Accueil. Lors de cette réunion, six des neuf conseillers présidentiels ont soutenu la demande de révocation de Dupuy. Parmi eux, les figures controversées, impliquées dans des affaires de corruption liées à la Banque nationale de crédit (BNC), dont Louis-Gérald Gilles, Smith Augustin et Emmanuel Vertilaire. Ils reprochent à Dupuy sa prise de position jugée trop radicale contre les déportations massives d’Haïtiens orchestrées par la République dominicaine. 

Le Premier ministre Garry Conille a opposé un refus ferme, affirmant que les conseillers n’ont aucune légitimité légale pour écarter un membre de son gouvernement. Pour lui, la tentative de renvoi de Dominique Dupuy n’est qu’une diversion orchestrée par des intérêts privés.

Les conseillers-présidents, quant à eux, ne décolèrent pas. Ils interdisent désormais l’accès de la ministre à la Villa d’Accueil. En revanche, d’autres ministres, en solidarité avec Dupuy, menacent de boycotter les conseils des ministres si les membres du CPT, éclaboussés par le scandale de la BNC, y siègent encore.

Par ailleurs, Maître Sonet Saint-Louis, juriste reconnu, a rappelé dans un article publié dans Le National que la ministre Dominique Dupuy n’est pas une simple fonctionnaire d’État, mais un membre du gouvernement, soumise uniquement à l’autorité du Parlement. Il précise que ni le président, ni le Premier ministre ne peuvent révoquer un ministre sans l’intervention légale du Parlement. Cette clarification met en lumière l’illégalité de la demande du CPT et renforce la position de Conille.

Les enjeux cachés

Leslie Voltaire, Fritz Jean et Régine Abraham, fervents partisans de cette révocation, sont montés au créneau, dénonçant la posture de Dupuy sur la question migratoire haïtiano-dominicaine, jugée « trop radicale » par certains. En effet, la ministre avait dénoncé avec force les rafles et expulsions d’Haïtiens, qu’elle qualifie de « violation flagrante des droits humains » et d’« affront à la dignité humaine », ce qui semble avoir envenimé les relations diplomatiques.

Mais selon des observateurs avertis, cette crise dépasse largement le cadre des relations bilatérales. Leslie Voltaire, président du CPT, serait en quête de vengeance après un accrochage humiliant avec Dupuy lors de la 79ème Assemblée générale de l’ONU à New York.

Un enjeu de souveraineté

Le CPT, par cette manœuvre, ne cherche-t-il pas à faire taire une ministre courageuse qui ose dénoncer la politique xénophobe du président dominicain Luis Abinader ? Selon certaines indiscrétions, une réunion secrète aurait eu lieu tard dans la nuit du lundi 14 octobre, chez l’ambassadeur dominicain en Haïti, Faruk Miguel. Leslie Voltaire, accompagné de ses alliés, y aurait reçu des consignes pour évincer Dominique Dupuy, qualifiée de trop « incisive » contre les abus migratoires.

Le spectre d’une transition avortée

Depuis sa création, le Conseil de Transition Présidentiel (CPT), chargé de mener Haïti vers une transition politique, est miné par des luttes internes. Les divergences autour de la présidence tournante et le relèvement du seuil de décision à cinq voix sur sept ont profondément divisé le conseil. Certains conseillers, éclaboussés par un rapport de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC), ont vu leurs soutiens se désolidariser, accentuant la fragilité du processus.

Leslie Voltaire a officiellement pris la tête du  CPT le 7 octobre 2024, dans un climat tendu. Edgard Leblanc Fils, coordonnateur sortant, a refusé de signer la résolution et de participer à la cérémonie d’installation, souhaitant se dissocier des conseillers sous enquête pour corruption.

À cela s’ajoute le conflit persistant entre le Premier ministre et le CPT concernant la révocation de la chancelière, Dominique Dupuy.

Pendant ce temps, la situation du pays se détériore. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 700 000 personnes, dont une majorité d’enfants, sont déplacées à l’intérieur d’Haïti. Le rapport signale une augmentation de 22 % du nombre de déplacés depuis juin, une conséquence directe de la violence des gangs, notamment à Gressier.

Les familles d’accueil, qui hébergent 83 % des personnes déplacées, sont à bout de souffle, confrontées à des pénuries alimentaires et des services de santé débordés.

Les manœuvres politiques internes, amplifiées par des influences extérieures, étranglent toute possibilité de redresser Haïti. Chaque tentative de stabilisation semble vouée à l’échec, et la question se pose : cet échec imminent de la transition ne va-t-il pas plonger le pays dans un chaos encore plus profond ? Comment se fait-il que, même dans les moments les plus sombres, nos dirigeants ne parviennent pas à transcender leurs querelles et à privilégier l’intérêt national ? Quand verrons-nous enfin une véritable volonté de sortir Haïti de cette impasse ?


Par : Wilsonley SIMON

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