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Auteur : Wilsonley SIMON

Franckson Alcide «Coco» : l’enfant des nuits sauvages 

Comment approcher l’intimité d’un auteur, au-delà des mots qu’il sème dans ses œuvres ? Comment capter ce qu’il cache entre les lignes, dans ces silences qui en disent long ? Dans cet entretien, Wilsonley Simon vous invite à une immersion dans l’univers de Franckson Alcide, ce jeune poète, qui sculpte l’existence avec la plume. 

L’écrivain, poète Franckson Alcide | CP: Facebook

Franckson Alcide, plus connu sous le nom de Coco, est de ces poètes qui incarnent l’essence même de la poésie tel un voyageur d’ombres et de lumières, un architecte de mots qui éveille les âmes. Né au cœur de l’Artibonite et façonné par les rues bouillonnantes de la ville de Port-au-Prince, ce jeune poète et comédien sculpte son univers à travers une écriture où chaque vers est une flamme, chaque image une étreinte de l’âme. Dans « Nuit sauvage suivie du poème d’étreinte»,  son premier recueil publié en 2023, Coco capte les souffles indomptés de la nuit, réinventant la mélodie de la vie avec une intensité rare et féroce. Au détour de cet entretien, il nous confie son parcours, ses rêves, et l’essence de cette folie douce qui le porte inlassablement vers l’écriture.





WS : Bonsoir Alcide…Quel plaisir ! Pourriez-vous nous raconter votre parcours personnel et ce qui vous a amené vers l’écriture ?

FA:  Bonsoir Simon, plaisir partagé mon frère.  Je m’appelle Franckson Alcide, connu sous le nom d’artiste Coco. Écrivain et artiste-comédien, je suis né à l’Estère, dans l’Artibonite, et j’ai grandi aux Gonaïves et dans plusieurs villes comme Port-au-Prince et Cap-Haïtien. J’ai achevé mes études classiques à Port-au-Prince en 2018, tout en étudiant la communication journalistique à l’ISNAC. En 2019, j’ai intégré l’Université d’État d’Haïti (UEH) pour des études en Anthropo-Sociologie à la Faculté d’Ethnologie et, en 2021, l’ENARTS pour l’art dramatique. 

Je ne sais pas vraiment expliquer ce qui m’a conduit à l’écriture ; c’est peut-être mon amour des livres et mes expériences. Pour moi, c’est une façon essentielle de m’exprimer dans ce monde empli d’amour et de haine.

WS : Comment avez-vous choisi le nom d’artiste “Coco”, et que signifie-t-il pour vous ?

FA :  Le nom, je ne l’ai pas choisi. Il raconte l’histoire d’une amitié forte qui s’est construite entre mon éditeur et moi. C’est lui qui m’a donné ce nom, car, lors de ses visites chez moi, nous passions de longues heures à discuter de littérature, à partager des lectures de poèmes et de romans. Nous étions très proches. C’est lui qui m’a orienté lorsque j’ai commencé à écrire des poèmes à l’école. Nous nous sommes rencontrés là-bas, où il était professeur, mais il n’était pas mon professeur à proprement parler. Ce nom symbolise pour moi cette amitié profonde et solennelle.

WS :  Comment avez-vous découvert votre passion pour l’écriture et, en particulier, pour la poésie ? 

FA : Je pense vraiment que c’était à l’école. Oui ! C’est à l’école que j’avais commencé à gribouiller depuis ma rencontre avec les cours des lettres enseignés à l’école secondaire. Tout ça avait commencé à germer depuis les bancs de l’école.

WS : Y a-t-il eu un moment marquant qui vous a poussé à prendre la plume ? 

FA : Pas vraiment parce je vis en permanence avec ce désir qui compte beaucoup à mon existence et mon être souvent tourmenté et en mouvance.

WS : Quels auteurs ou poètes ont eu une influence majeure sur votre style et votre vision artistique ?

FA: À propos de cette question, je peux vous dire que  j’ai découvert, vu et rencontré beaucoup de poètes et auteurs qui m’ont fasciné ; que ce soit leur style ou leur vision. Et, j’ai appris d’eux et de leurs travaux ou leurs œuvres. Mais de mon côté, j’essaie de prendre distance à tout ça afin que je puisse tracer ma propre voie et trouver mon propre lieu.

WS : Comment décririez-vous votre processus créatif ?

FA : Je n’ai pas toujours eu un plan ou un canevas à suivre spécifiquement pour débuter une création. Mais j’ai souvent eu l’idée de mes nouvelles créations à partir d’un vers qui me donnera par la suite un titre et puis ça me va un peu, je le travaille et retravaile dans le but d’avoir au moins une dernière version de vers et de titre pour commencer le premier poème à naître.

WS : Avez-vous des rituels particuliers pour écrire ? 

FA : Non. J’écris toujours. Chaque jours je vis, marche, dors et rêver avec mes œuvres dans ma tête et mon esprit. Je crois la vivre comme passion, la littérature.

WS : Est-ce que la situation actuelle en Haïti influence votre écriture, et si oui, comment ? 

FA :  Haïti est l’un des thèmes centrales de mes œuvres. Je n’écris pas sans avoir penser à elle. Je pourrais même dire qu’elle campe en permanence dans mon écriture. Elle est toujours là comme un guide, une image une muse. 

WS : Quelles émotions ou expériences humaines essayez-vous le plus souvent de capturer à travers vos poèmes ? 

FA : Elles sont diverses et multiples. Elles sont profondes et lourdes. Je travaille sur des thématiques comme : la mort, l’amour, la violence, pauvreté, l’amitié et tant d’autres. Je suis toujours en quête dans mes démarches créatives.

WS : Comment vivez-vous au quotidien en tant que jeune écrivain dans un contexte national difficile ?

FA :  Comme un être abandonné par lui-même et errant. Avec angoisses et chagrins.

WS:  Trouvez-vous que la réalité sociopolitique de votre pays inspire ou limite votre créativité ? 

FA: Difficile à répondre à une telle question. Puisque je suis à la fois sujet et objet, c’est toujours dur de s’exprimer sur cette réalité.

WS :  Où puisez-vous votre inspiration au milieu des défis quotidiens ?

FA :  D’abord, de mon quotidien et celui des autres. Ensuite, tout ce qui se trouve autour de moi, dans mon environnement et tout ce qui s’offre à moi.

WS : Comment définiriez-vous la poésie, et quelle place occupe-t-elle dans votre vie ?

FA :  La poésie, on le sait depuis toujours, n’a ni définition ni forme propre. Si je devais la définir, je dirais que “c’est le merveilleux et le désastre en nous, l’humain. Un monde de passerelles entre mots, écriture, quête de sens et le sublime.” Pour moi, il s’agit ici d’une tentative de définir la poésie qui, comme toutes les autres définitions qui l’ont précédée, ne se veut cependant pas une approche réductionniste.

WS : Pensez-vous que la poésie peut avoir un impact social ou politique ? Si oui, comment ?

FA : Je pense que oui. À travers la promotion de la littérature. Ensuite , la poésie est avant même d’être ce qu’elle est, une production et manifestation sociale et humaine. Sa valorisation et sa promotion, auprès de la jeunesse et la création d’activité peut favoriser l’épanouissement à la vie commune.

WS : Quels thèmes sont les plus récurrents dans vos poèmes, et pourquoi ? 

FA: La vie, la mort, l’existence, l’amour, la violence, l’amitié, la résistance, la résilience, la pauvreté, migration et mémoires. Par ce que ce sont des thèmes qui marquent ma vie et mon existence humaine et matérielle.

WS : Pourriez-vous nous parler de Nuit Sauvage ? Qu’est-ce qui a inspiré ce recueil ?

FA : « Nuit sauvage suivie du poème d’étreinte » c’est mon premier recueil de poème publié en 2023 chez Self Éditeur. C’est un recueil de poèmes qui aborde des thématiques comme la nuit, l’amour, l’amitié et la ville. C’est un recueil à la fois triste et érotique. L’inspiration m’a été venue de partout, de plein de choses : mon pays, la ville, la guerre des gangs etc.

WS : Quel est le message central ou l’émotion que vous  transmettez à travers ce livre ? 

FA: Une émotion de joie et de peine. De  joie parce je tente d’être un poète érotique et romantique et de peine parce j’ai essayé d’explorer la ville de Port-au-Prince et ses moments de douleurs et détresses.

WS : Y a-t-il un poème en particulier qui vous tient le plus à cœur ? Pourquoi ? 

FA :  Non, je crois pas. Mes poèmes sont une partie de moi que j’offre au monde comme symbole d’amour et de courtoisie par pureté de cœur.

WS : Votre style d’écriture est-il influencé par d’autres formes d’art, comme la musique, la peinture, ou le théâtre ? 

FA : Oui, à peu près, parce que j’essaie de puiser partout afin de trouver une façon propre à moi pour exprimer ce que je ressens au plus profond de moi.

WS : Avez-vous une préférence pour certains styles ou structures poétiques, ou aimez-vous expérimenter ?

 FA : Non, j’experimente, je réalise ma quête.

WS : Quels sont vos projets littéraires ou artistiques pour l’avenir ? Travaillez-vous déjà sur un autre livre ?

FA : Pour information, j’ai de nombreux projets de création dans divers domaines : poésie, roman, théâtre, musique, scénario et photographie. Oui, je suis en train de préparer une nouvelle création poétique. Vous m’excuserez, mais je ne vais pas vous révéler le titre pour l’instant.

WS : Quels rêves ou aspirations souhaitez-vous encore réaliser en tant qu’écrivain ? 

 FA : Vivre, travailler et mourir comme un écrivain.

WS : Voyez-vous votre écriture évoluer vers d’autres genres, comme la prose ou l’essai ? 

FA : Oui, bien sûr.

WS : Que représente la poésie pour vous dans un monde qui évolue si rapidement ? 

FA : Un rampart contre sa déchéance et ces tentacules prêtent à nous avaler.

WS : Comment aimeriez-vous que vos lecteurs se souviennent de votre œuvre ? 

FA : Comme un vécu transcendé hors temps , hors de l’espace à l’interstice entre la mort et l’impossible infini d’éternité.

WS :  En vous lisant, vous évoquez chez moi Roland Brival, qui se définit comme un écrivain faisant une littérature qui « colle à la peau », qui s’embarasse pas de bavardage, qui installe la pensée dans un acte. Vous reconnaissez -vous dans cette vision littéraire ? 

FA : Je pense que oui. L’écrivain que je suis est un véritable artisan des mots, un créateur de sens jouant avec les nuances de notre sensibilité. À travers mes œuvres, chaque poème devient un acte conscient, imprégné de mes réalités quotidiennes et visant à éveiller la réflexion.

WS : Une autre question dans un registre similaire : adhérez-vous à la notion de « trace » d’Édouard Glissant, pour qui la littérature est une mémoire vivante de ceux qui n’ont jamais pu s’exprimer, écrire ou raconter leur histoire ?

FA : Absolument, et ce pour deux raisons majeures. Premièrement, la littérature joue un rôle fondamental en préservant la mémoire collective et en archivant des fragments d’humanité. Deuxièmement, Glissant et moi partageons des liens culturels et historiques profonds. Nous sommes tous deux des Antillais américains, et nous portons en nous la marque indélébile de l’histoire, notamment l’héritage de l’esclavage et ses répercussions sur notre identité. Écrire, selon la perspective de Glissant, c’est aussi redonner une voix à l’Autre, à ceux qui en ont été privés. Cela rejoint la pensée du philosophe Jacques Rancière qui évoque les « sans-part », ceux qui n’ont pas accès au pouvoir ni aux structures sociales dominantes.

WS : Quels sont vos plus beaux souvenirs de la ville de Port-au-Prince, une ville qui semble aujourd’hui s’évanouir sous vos yeux impuissants ?

FA : Port-au-Prince regorgeait de mille trésors aujourd’hui effacés. Je me souviens de ses rues animées, de ses espaces culturels et littéraires vibrants, de ses bars festifs et même de ses bordels, qui contribuaient tous au charme et à l’effervescence unique de la ville. Ces lieux sont désormais des souvenirs nostalgiques d’une époque révolue.

WS : Quel message voudriez-vous laisser à la jeunesse haïtienne ou à ceux qui aspirent à écrire ? 

FA : Qu’il cherche la vérité qu’on les a caché de toute l’histoire de notre peuple pour avoir le courage de travailler à son progrès.


En lisant Alcide, on comprend que sa poésie ne se limite pas aux mots ; elle est un état d’être, un souffle vital qui danse au rythme des espoirs et des tourments de son pays. Ainsi, Coco trace sa route à travers l’étrange labyrinthe d’Haïti, où la poésie est à la fois une arme et une caresse. Avec une âme d’artiste brûlant d’espoir et de révolte, l’auteur de « Nuit sauvage suivie du poème étreinte » réinvente sans cesse le monde qui l’entoure, transformant les blessures et les silences en promesses de jours meilleurs. Dans chaque vers, Alcide étreint l’humanité avec une audace sincère, nous rappelant que la beauté des mots a ce pouvoir rare : semer des étoiles même dans la nuit la plus sauvage. Sa plume, libre et indomptée à l’instar de Georges Castera, nous promet encore d’autres récits, des étreintes littéraires où le rêve et la réalité s’entrelacent. C’est ainsi qu’il nous laisse, habités par sa vision, prêts à explorer avec lui d’autres horizons où l’écriture s’embrase et où la vie devient une vaste poésie.

Wilsonley SIMON pour la rubrique Chro.Lit

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