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Auteur : Johnny Joseph, MED

Haïti : une histoire trahie 

Nous, peuple d’Haïti, portons l’histoire d’un miracle. Une nation noire, née dans le sang et le feu de la révolte, qui osa se dresser contre les plus grands empires esclavagistes de son époque. Nous sommes le fruit d’une lutte titanesque, d’une révolution sans égale dans l’histoire moderne. Pourtant, aujourd’hui, nous ne connaissons presque rien de notre grandeur. Et cela n’est pas un hasard. Ce vide mémoriel est le résultat d’une falsification méthodique de notre histoire, une entreprise dans laquelle certains ont joué un rôle complice. Les Frères de l’Instruction Chrétienne (FIC), gardiens autoproclamés de la morale et de la vérité, ont participé à cette opération d’effacement.

Durant des décennies, les FIC ont dominé l’appareil éducatif haïtien. Mais que nous ont-ils transmis réellement ? Un catéchisme colonial. Des programmes où nos héros sont réduits à des silhouettes lointaines, où notre révolution devient un simple événement, et non un acte fondateur de la liberté humaine. Ils ont rabâché notre histoire, édulcoré nos combats, et laissé notre peuple ignorer qu’il fut jadis un phare pour l’humanité.

Bien avant que les États-Unis ne déclarent formellement leur indépendance en 1776, des soldats noirs de l’île d’Haïti, futurs Haïtiens, participaient à la Bataille de Savannah en 1779 aux côtés des troupes révolutionnaires américaines (Girard, 2011). Si nous n’étions pas déjà un peuple libre, comment aurions-nous pu offrir notre sang pour aider un autre peuple à se libérer ? Voilà la question que l’histoire officielle évite soigneusement : Si nous étions esclaves et insignifiants, comment aurions-nous pu être les alliés de la première puissance mondiale en devenir ?

La vérité, c’est que nous avons été à l’avant-garde des combats pour la liberté. Nos ancêtres ont inspiré des figures comme Simón Bolívar, que nous avons aidé en lui fournissant hommes, armes et navires en 1815 depuis les côtes haïtiennes (Dubois, 2004). Sans Haïti, plusieurs nations d’Amérique latine n’auraient pas connu l’émancipation.

Et que dire du rôle que nous avons joué dans la création de l’État d’Israël ? En 1947, c’est grâce au vote décisif de l’ambassadeur haïtien Émile Saint-Lot que le plan de partition de la Palestine a été adopté à l’ONU, permettant la naissance d’Israël (Roche, 2010). Voilà encore une page d’histoire que les manuels négligent, que les écoles dissimulent.

L’assassinat de Dessalines, le crime fondateur du mensonge. L’une des plus grandes trahisons de notre mémoire est la manière dont a été racontée ou effacée a mort de notre Père Fondateur, Jean-Jacques Dessalines. Loin d’être un simple accident de l’histoire, son assassinat le 17 octobre 1806 fut un complot interne, fomenté par ceux qui avaient peur de son projet d’unité nationale et d’autonomie réelle. Et que nous dit l’école ? Rien, ou presque. On nous parle d’un “événement tragique”, mais jamais de trahison, jamais de sabotage. Ainsi, on a brisé le mythe fondateur, et on a dressé le peuple contre lui-même.

Nous étions autosuffisants. Nous avions notre armée, nos industries locales, notre agriculture. Mais aujourd’hui, nous dépendons du riz américain, du blé canadien, du sucre dominicain. L’économie haïtienne a été saignée par une ouverture brutale aux importations, orchestrée sous les pressions internationales, avec la complicité de nos dirigeants. Nous avons perdu Askow, la minoterie, la SONAPI, et avec elles, notre capacité de production. Le démantèlement de l’armée par Aristide, suivi par la vente de ses équipements, fut un coup fatal porté à notre souveraineté (Dupuy, 2006).

Aujourd’hui, Haïti, jadis symbole de liberté, est à genoux. Une société fragmentée, méfiante, rongée par une haine de soi subtilement distillée au fil des générations. Comment bâtir un futur quand on ignore son passé ? Comment rêver collectif quand on nous a appris à nous mépriser individuellement ?

Frères FIC, historiens, enseignants, dirigeants, vous avez un devoir de vérité. Enseignez l’histoire réelle. Racontez les batailles, les trahisons, les victoires. Offrez aux jeunes haïtiens les clés de leur dignité. Car un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir. Et un peuple sans fierté devient une proie facile pour tous les prédateurs de ce monde.

Redonnons à Haïti son histoire. Redonnons-lui sa mémoire. C’est le premier pas vers la reconquête de sa liberté.

Par : Johnny JOSEPH , MED.

Références bibliographiques

Dubois, L. (2004). Avengers of the New World: The Story of the Haitian Revolution. Harvard University Press.

Dupuy, A. (2006). The Prophet and Power: Jean-Bertrand Aristide, the International Community, and Haiti. Rowman & Littlefield.

Girard, P. R. (2011). Haiti and the Americas. University Press of Mississippi.

Roche, J.-J. (2010). Haïti, une nation empêchée. L’Harmattan.

Trouillot, M.-R. (1995). Silencing the Past: Power and the Production of History. Beacon Press.

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Johnny Joseph, MED
Johnny Joseph, MED

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