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Auteur : James Antoine

Haïti : une lutte féministe inachevée face à l’impunité et à la violence

« 300 000 femmes et filles haïtiennes sont déplacées, sans accès à des services de sécurité et de santé élémentaires » a rapporté l’organisation ONU Femmes dans un communiqué de presse le 17 juillet 2024.

Chaque année, le 8 mars marque la Journée internationale des femmes, selon l’appellation officielle de l’ONU, également désignée sous le nom de Journée internationale des droits des femmes par ONU Femmes. Cette journée met en lumière la lutte pour l’égalité des sexes et la défense des droits des femmes à travers le monde. En Haïti, de nombreuses organisations féministes, associations et institutions profitent de cette occasion pour organiser diverses activités de sensibilisation et de revendication. Cependant, face à l’escalade de la violence et à l’impunité qui gangrènent le pays, les femmes restent les premières victimes, ce qui témoigne d’un recul alarmant de leurs acquis et d’un affaiblissement de leur lutte pour une société plus juste et égalitaire.

Un combat ancré dans l’histoire

La lutte pour les droits des femmes en Haïti ne date pas d’hier. Dès la période coloniale, des femmes ont pris les armes pour la libération du pays. Parmi elles, Victoria Montou, connue sous le nom de Toya, a combattu aux côtés de Jean-Jacques Dessalines. Son épouse, Marie-Claire Bonheur, a également marqué l’histoire en tant qu’impératrice d’Haïti et héroïne de l’indépendance. Sanite Bélair s’est, quant à elle, illustrée en prenant les armes contre l’expédition Leclerc.

La lutte ne s’est pas arrêtée avec l’indépendance. Le 1er novembre 1934, la Ligue féministe d’action sociale a vu le jour pour défendre les droits fondamentaux des femmes, notamment leur accès à l’éducation, l’égalité salariale et le droit de vote. Afin de porter ses revendications, l’organisation a lancé un journal intitulé La Voix des Femmes, rapidement interdit par le président Sténio Vincent.

En 1941, trois ans plus tard, les femmes ont obtenu le droit de se présenter aux élections sans toutefois pouvoir voter. Ce n’est qu’en 1950 qu’elles ont été autorisées à voter, mais uniquement lors des élections présidentielles. En 1957, leur droit de vote a finalement été pleinement reconnu. Elles ont dès lors joué un rôle plus actif dans la vie politique, critiquant le régime dictatorial de François Duvalier, ce qui leur a souvent valu l’exil ou l’emprisonnement.

Le 3 avril 1986, en réaction aux abus du pouvoir, la Solidarité Fanm Ayisyèn (SOFA) a été créée afin de contrecarrer le régime en place. Cette même année, un mouvement rassemblant environ 3 000 femmes a défilé dans les rues pour défendre leurs droits. Depuis, le 3 avril est reconnu comme la Journée nationale du mouvement des femmes en Haïti.

En 1990, Haïti a connu sa première femme présidente, Ertha Pascal-Trouillot. Bien qu’elle n’ait pas été élue, elle a organisé l’élection de 1991, considérée comme l’une des plus démocratiques de l’histoire du pays. Lors de cette élection, Marie Colette Jacques fut la seule femme à se porter candidate à la présidence.

La régression des droits sous la violence et l’impunité

Après 1994, la situation des femmes s’est détériorée, notamment après le coup d’État contre Jean-Bertrand Aristide. Les violences sexuelles se sont intensifiées, et de nombreuses femmes ont été violées ou tuées. Ce fléau s’est aggravé sous l’occupation des Casques bleus de l’ONU entre 2004 et 2016.

Avec l’arrivée du régime PHTK, la condition des femmes haïtiennes n’a cessé de se dégrader. Un rapport de l’ONU publié en octobre 2022 révèle qu’au moins 41 femmes et filles ont été violées collectivement par des gangs dans le quartier de Martissant en 2018. D’autres zones comme Carrefour-Feuilles, Solino ou Delmas 30 sont également touchées par ce phénomène. Face à cette situation, de nombreuses femmes sont contraintes à l’exil ou vivent dans la peur permanente.

L’affaiblissement de l’État, qui détient pourtant le monopole de la violence légitime selon Max Weber, expose davantage les femmes à l’arbitraire des groupes armés. La justice est à genoux, l’impunité règne et les institutions se contentent de manœuvres politiciennes au détriment des droits humains.

Un avenir incertain pour les femmes haïtiennes

Dans les quartiers sous contrôle des gangs, les femmes sont violées et assassinées quotidiennement, sans espoir de justice. À titre d’exemple, le chef de gang Micanor, à Wharf Jérémie, a exécuté plusieurs femmes âgées sous prétexte qu’elles étaient des loups-garous.

« 300 000 femmes et filles haïtiennes sont déplacées, sans accès à des services de sécurité et de santé élémentaires » a rapporté l’organisation ONU Femmes dans un communiqué de presse le 17 juillet 2024. 

Selon le même communiqué, plus de 88 % des femmes interrogées ne disposent d’aucune source de revenus dans les camps. En conséquence, plus de 10 % d’entre elles ont dû au moins une fois se tourner vers la prostitution ou ont envisagé de le faire pour répondre à leurs besoins. 

Par ailleurs, la détérioration des conditions socio-économiques expose davantage les femmes à l’exploitation et abus sexuels. Dans les industries, de nombreuses ouvrières subissent des abus sexuels de la part de leurs employeurs, profitant de leur précarité.

Face à cette situation, la directrice exécutive d’ONU Femmes, Sima Bahous, a déclaré : « Selon notre rapport, le niveau d’insécurité et de brutalité, notamment la violence sexuelle, auquel les femmes sont confrontées aux mains des gangs en Haïti est sans précédent. Il faut y mettre un terme immédiatement. »

L’émancipation des femmes haïtiennes reste une utopie tant que leurs revendications demeurent invisibles et inaudibles. Malgré certaines avancées, il est urgent d’instaurer une nouvelle dynamique féministe pour garantir le respect des droits des femmes et leur intégration pleine et entière dans l’espace social, sans contrainte ni compromis.

Par : James ANTOINE

RTMI

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