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Le monde des lettres africaines perd l’un de ses plus illustres défenseurs. Le romancier et essayiste kényan Ngugi wa Thiong’o est décédé le mercredi 28 mai 2025, à l’âge de 87 ans, à Buford, dans l’État de Géorgie (États-Unis). Ce monument de la pensée décoloniale laisse derrière lui une œuvre immense, marquée par un engagement profond en faveur des langues africaines et une critique sans concession de l’impérialisme culturel.
Né le 5 janvier 1938 dans un village au nord-ouest de Nairobi, alors sous domination britannique, Ngugi s’était d’abord fait connaître sous le nom de James Ngugi, avant de rejeter son prénom colonial. D’abord auteur en anglais, il a opéré un virage radical au tournant des années 1980 en décidant d’écrire exclusivement en kikuyu, sa langue natale. « Écrire dans nos langues est un premier pas », affirmait-il, convaincu que la vraie décolonisation commence par la parole.
Militant, professeur, dramaturge et penseur, Ngugi a connu l’exil en 1982, après avoir été emprisonné sans procès pour une pièce de théâtre jugée subversive par le régime de Jomo Kenyatta. Cette pièce, Ngaahika ndeenda (“Je me marierai quand j’en aurai envie”), jouée dans son village natal, remettait en question la trahison des idéaux de l’indépendance et dénonçait la transformation du Kenya en néocolonie. L’État réagit durement : l’auteur est arrêté, le théâtre détruit.
C’est en prison qu’il écrira l’un de ses romans les plus satiriques, Caitaani mutharaba-ini, sur du papier toilette. Ce combat pour une culture enracinée l’amènera à publier l’essai majeur Décoloniser l’esprit (1986, trad. La Fabrique, 2011), véritable manifeste pour une littérature africaine affranchie de la tutelle coloniale.
Professeur de littérature comparée à l’université de Californie à Irvine, Ngugi wa Thiong’o a passé plus de vingt ans en exil entre le Royaume-Uni et les États-Unis. Il n’est revenu au Kenya qu’en 2004, accueilli en héros, mais victime d’une agression traumatisante peu après son retour. Malgré cela, il a continué à écrire, à enseigner, et à militer pour la reconnaissance des langues africaines comme outils de savoir et de libération.
Auteur de romans tels que Enfant, ne pleure pas, La rivière de vie ou Pétales de sang, mais aussi de pièces de théâtre, de récits autobiographiques et d’essais, il laisse une œuvre multiforme, traduite dans plusieurs langues. Son nom revenait régulièrement parmi les candidats possibles au prix Nobel de littérature.
Ngugi wa Thiong’o n’est plus, mais son combat pour la dignité des cultures africaines, son refus de la soumission linguistique, et sa plume libre continueront d’éclairer les générations à venir.
RTMI