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Auteur : Johnny Joseph, MED.

Réconcilier Haïti avec elle-même : repenser notre système religieux et éducatif pour un avenir souverain 

Haïti est un pays marqué par une histoire de lutte et de résilience. Cependant, malgré notre indépendance chèrement acquise, nous restons encore prisonniers de certaines structures qui perpétuent notre aliénation culturelle et intellectuelle. Parmi elles, deux systèmes jouent un rôle fondamental dans la perpétuation de cette dépendance : un système religieux qui nous pousse à mépriser notre propre culture et un système éducatif importé qui ne répond pas à nos réalités. Ces deux éléments, souvent présentés comme des piliers de notre société, méritent aujourd’hui d’être repensés afin de reconstruire un Haïti plus autonome, fier et prospère.

Une aliénation religieuse qui nous éloigne de nous-mêmes 

Depuis l’époque coloniale, la religion a toujours été un outil de contrôle et de domination. Le catholicisme, puis plus tard le protestantisme évangélique, ont été imposés aux Haïtiens comme des modèles religieux devant remplacer leurs croyances traditionnelles. Ce phénomène ne s’est pas limité à une simple introduction de nouvelles doctrines ; il a surtout servi à dévaloriser et diaboliser le vodou, pourtant au cœur de l’identité haïtienne.

Le vodou n’est pas qu’une religion, c’est une philosophie de vie, une tradition ancestrale qui porte en elle les valeurs de solidarité, de respect de la nature et d’identité communautaire. C’est grâce au vodou que les esclaves se sont unis pour mener la révolution de 1804. Pourtant, après l’indépendance, les élites haïtiennes, influencées par les anciens colonisateurs et leurs héritiers culturels, ont cherché à effacer ce pan de notre histoire, le reléguant au rang de “sorcellerie” ou de “pratique païenne”.

Aujourd’hui encore, de nombreuses églises chrétiennes, notamment évangéliques, alimentent cette haine du vodou et, plus largement, de la culture haïtienne. On entend régulièrement des discours religieux condamnant non seulement les rites vodouisants, mais aussi la musique, la danse et les traditions populaires. Cette aliénation religieuse a contribué à une profonde crise identitaire : comment un peuple peut-il se construire s’il est conditionné à rejeter son propre héritage ?

Si la spiritualité a un rôle important dans la vie des Haïtiens, il est temps de repenser son utilisation comme instrument d’exclusion et de rejet de soi. Un peuple qui méprise son patrimoine culturel ne peut aspirer à une véritable autonomie. Nous devons apprendre à valoriser nos traditions sans pour autant diaboliser les influences extérieures, mais en trouvant un équilibre entre notre passé et notre futur.

Un système éducatif importé, source de dépendance et d’inefficacité

En parallèle de cette aliénation culturelle, Haïti souffre d’un autre problème majeur : un système éducatif conçu sur un modèle étranger qui ne correspond ni aux réalités du pays ni aux besoins de la population. Hérité de la colonisation française et jamais réellement adapté, l’enseignement en Haïti reste largement déconnecté des défis locaux et des compétences nécessaires pour le développement du pays.

Tout d’abord, la langue d’enseignement pose un problème fondamental. La majorité des Haïtiens parle créole, mais l’éducation se fait en grande partie en français, une langue que beaucoup ne maîtrisent pas bien. Cela crée une barrière à l’apprentissage et perpétue une élite qui monopolise le savoir, excluant une grande partie de la population de l’accès à une éducation de qualité.

Ensuite, le contenu des programmes scolaires est souvent inadapté aux réalités haïtiennes. On enseigne aux enfants des références européennes sans leur apprendre l’histoire et les connaissances pratiques qui pourraient leur permettre de développer leur propre pays. Un élève haïtien peut être capable de réciter les grands faits de la Révolution française, mais il connaît rarement en profondeur les détails de la Révolution haïtienne. De même, l’éducation met peu l’accent sur les compétences techniques et professionnelles pourtant essentielles pour construire une économie autonome.

Enfin, l’enseignement repose sur un modèle élitiste et théorique, où la réussite est trop souvent mesurée par la capacité à mémoriser plutôt qu’à innover et à résoudre des problèmes concrets. Ce modèle d’éducation ne forme pas des entrepreneurs, des ingénieurs ou des artisans compétents ; il produit plutôt des diplômés sans débouchés, forcés d’émigrer ou de rester au chômage.

Haïti a besoin d’un système éducatif endogène, qui valorise la langue et la culture haïtiennes, qui enseigne des compétences adaptées aux besoins locaux et qui encourage la créativité et l’esprit entrepreneurial. L’éducation ne doit plus être un simple outil de reproduction des inégalités sociales, mais un véritable levier d’émancipation et de développement.

Pour un Haïti réconcilié avec lui-même

Si nous voulons un avenir différent, nous devons commencer par nous réapproprier notre culture et notre éducation. Un pays ne peut se construire sans une identité forte et sans un savoir adapté à son contexte.

– Sur le plan religieux, il est essentiel de promouvoir un dialogue qui reconnaît et valorise le vodou comme une composante fondamentale de notre héritage. Il ne s’agit pas d’imposer une religion sur une autre, mais de permettre une cohabitation respectueuse des croyances, sans discrimination ni rejet de soi.

– Sur le plan éducatif, une réforme en profondeur est nécessaire : enseignement en créole pour faciliter l’apprentissage, introduction de programmes basés sur les réalités locales, encouragement de la formation technique et professionnelle, et promotion d’un savoir qui met l’accent sur la souveraineté économique et culturelle du pays.

Haïti ne pourra jamais atteindre son plein potentiel tant que nous continuerons à fonctionner avec des modèles qui ne sont pas les nôtres. Il est temps de sortir de cette logique d’aliénation et de dépendance pour construire un pays ancré dans ses racines et ouvert sur l’avenir. C’est en réconciliant notre spiritualité, notre culture et notre savoir que nous pourrons bâtir une Haïti forte, fière et indépendante.

Par : Johnny Joseph, MED.

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