Auteur : Simon Wilsonley

Secteur privé et pouvoir : Saint-Cyr saura-t-il réécrire le narratif ?

Laurent Saint-Cyr a été officiellement installé à la tête du Conseil présidentiel de transition (CPT), le 7 août 2025. La cérémonie, qui s’est tenue à la Villa d’Accueil, a rassemblé le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé, plusieurs membres du gouvernement, des représentants diplomatiques ainsi que des acteurs de la société civile. Saint-Cyr, en tant que représentant du secteur privé, se voit confier la responsabilité de piloter les dernières étapes de la transition, avec pour mission notamment de contribuer à la restauration de la sécurité, d’accompagner la réforme constitutionnelle, de relancer une économie fragilisée et d’organiser des élections à venir.

Cette passation de pouvoir, qui fait de Laurent Saint-Cyr le quatrième président du Conseil présidentiel de transition (CPT) depuis sa création en  avril 2024, intervient dans un contexte marqué par de nombreuses difficultés. Haïti fait face à une instabilité politique persistante, une insécurité préoccupante ainsi qu’à des tensions sociales exacerbées. Dans ce contexte, la place du secteur privé, longtemps influent mais souvent resté discret, suscite une attention particulière.

Depuis l’indépendance en 1804, Haïti est traversée par une fracture sociale et économique profonde, qui continue de structurer ses réalités contemporaines. Une minorité d’élites économiques a réussi à concentrer pouvoir et richesses, tandis que la majorité populaire, composée principalement de paysans et d’ouvriers, reste largement exclue de l’accès aux ressources et aux décisions politiques. 

Cette inégalité structurelle est bien documentée par la littérature haïtienne. Jean-Claude Bajeux, militant des droits humains, a souligné dès 1991 l’écart entre une élite distante et une population marquée par la dépossession, décrivant comment toute tentative de développement ne pourrait pas faire l’économie d’une justice sociale réelle. Par ailleurs, Gérard Pierre-Charles, dans L’économie haïtienne et sa voie de développement (1967), retrace l’évolution économique du pays, soulignant la persistance d’un capitalisme naissant, fragile, et d’un système féodal qui continue de limiter l’accès aux ressources pour la majorité. Enfin, sous un angle plus politique, Michel-Rolph Trouillot dans Silencing the Past (1995) évoque la manière dont ce déséquilibre social a façonné les silences de l’histoire haïtienne, où la mémoire populaire a souvent été étouffée par les récits de l’élite. 

En effet, le secteur privé haïtien a longtemps oscillé entre une influence économique majeure et un poids politique non négligeable. Bien que son rôle en coulisses ait souvent été critiqué pour un certain manque de transparence et des pratiques clientélistes, il demeure un acteur central dans la pérennisation des structures économiques du pays. À ce sujet, certains auteurs soulignent que les profondes inégalités économiques et sociales nourrissent un climat de tensions et d’exclusion, ce qui crée par la suite, ce que l’on pourrait qualifier de véritable « émeute économique » sous-jacente.

La nomination de Laurent Saint-Cyr au sommet du CPT marque un changement dans la visibilité politique du secteur privé. Alors qu’il agissait majoritairement dans les dessous, cette fois, il est appelé à occuper une place publique et centrale dans la gestion de la transition. Cette évolution pose plusieurs questions quant aux orientations futures du secteur privé dans la gouvernance haïtienne.

D’un côté, cette nomination peut être perçue comme une opportunité de renouveler le rôle de cette classe économique, en l’incitant à s’engager plus directement dans les efforts de redressement du pays, notamment en termes de transparence, d’inclusivité et de responsabilité. D’un autre côté, certains observateurs restent prudents, soulignant les risques que ce changement ne soit qu’une continuité des pratiques passées, où le secteur privé pourrait privilégier ses intérêts au détriment d’une large part de la population.

Les défis auxquels Laurent Saint-Cyr doit faire face sont nombreux. La restauration de la sécurité est une condition sine qua non à toute avancée politique ou économique. La relance de l’économie, elle-même affaiblie par des années de crises, nécessitera une approche qui puisse aller au-delà des modèles traditionnels, en intégrant une plus grande équité sociale. Enfin, l’organisation d’élections crédibles et transparentes demeure un enjeu central pour la légitimité du processus démocratique.

Le rôle du secteur privé dans ces domaines sera scruté de près, tant par les acteurs nationaux que par la communauté internationale. Sa capacité à s’adapter aux exigences d’une gouvernance inclusive et à collaborer avec les différents acteurs politiques et sociaux sera un élément clé de la réussite de cette transition.

Dans cette arène, Laurent Saint-Cyr incarne à la fois une continuité et la promesse d’une possible rupture dans le rôle du secteur privé haïtien. Homme d’affaires aguerri, mais peu expérimenté sur la scène politique, il prend les rênes d’un secteur longtemps perçu comme oligarchique, anti-progressiste et éloigné des aspirations populaires. Sa présidence du Conseil présidentiel de transition (CPT) intervient à un moment où les attentes sont immenses, mais où les défis – sécuritaires, économiques et sociaux – restent tout aussi colossaux.

La question centrale demeure : ce passage sous les projecteurs permettra-t-il à Saint-Cyr de déconstruire le narratif d’un secteur privé souvent jugé déconnecté et parfois hostile aux intérêts du pays ? Ou s’inscrira-t-il, au contraire, dans la continuité d’une élite protégeant avant tout ses privilèges, au détriment des besoins d’une population majoritairement exclue ? Dans un pays en crise, le temps presse, mais les premiers signaux laissent planer davantage d’incertitudes que d’espoirs concrets.


Par : Wilsonley SIMON | RTMI

simonwilsonley35@gmail.com

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Simon Wilsonley
Simon Wilsonley

Wilsonley Simon est journaliste, étudiant en Anthropo-Sociologie. Il est passionné de la Radio et d’écriture. Sa plume, guidée par une profonde conscience sociale, s'engage pleinement au service de son pays.

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